Urbanisme à Bordeaux Métropole : le défi de la densification urbaine, entre enjeux et résistances
SOMMAIRE
- Surélever plutôt que d’étaler
- 35,4 millions d’euros pour le logement neuf à Bordeaux Métropole
- Un bras de fer politique et juridique
- Densification vs tradition : un défi pour l’avenir urbain de Bordeaux
- Une « organisation urbaine élitiste »
- Le poids des règles locales : un frein à la densification urbaine
- "Maires bâtisseurs, maires battus"
- Les professionnels de l’immobilier face au refus de construire
- Densifier sans sacrifier les espaces verts
Dans un contexte où la lutte contre l’artificialisation des sols impose de bâtir la ville sur elle-même, Bordeaux Métropole se heurte à un défi majeur : concilier densification et acceptabilité sociale. Entre blocages administratifs, résistance culturelle et crainte de bouleversements dans les paysages urbains, la cinquième métropole française illustre les tensions qui entourent les politiques d’urbanisme modernes.
Si la présidente de Bordeaux Métropole, Christine Bost affiche des ambitions claires pour le logement social, l’impopularité de l’étalement urbain reste un frein alimenté par des règles locales souvent obsolètes. Retour sur les enjeux et les dilemmes d’un territoire à la croisée des chemins.
Surélever plutôt que d’étaler

L’avenir de Bordeaux se construira dans le diffus et la surélévation de l’existant
. Tel est le pari de Bordeaux Métropole évoqué par Stéphane Pfeiffer, adjoint écologiste au maire de Bordeaux. Trois ans après la mise en place du label Bâtiment frugal bordelais, l’objectif de l’élu est avant tout de prôner une densification intelligente de la ville pour répondre à la pénurie de logement, tout en limitant l’artificialisation des sols.
Plutôt que d’étaler la ville, il mise sur la surélévation des bâtiments existants et la division des maisons individuelles en petits immeubles collectif. Ce modèle, déjà expérimenté à Strasbourg, pourrait libérer un potentiel important de logements à Bordeaux. Cela permettrait de cesser d'artificialiser toujours plus de foncier, et potentiellement générer des droits à construire permettant de participer à la rénovation de l’existant.
À Bordeaux, les promoteurs et les professionnels de l’immobilier pointent une baisse du nombre de logements autorisés. Si Pierre Hurmic revendique avoir stoppé la bétonisation de Bordeaux, l’élu écologiste rappelle pourtant que la construction n’a pas faibli et que les opérations déjà autorisées se poursuivent. Toutefois, l’équipe municipale se montre plus tatillonne sur la qualité des programmes, les matériaux utilisés et la végétalisation de la ville.
35,4 millions d’euros pour le logement neuf à Bordeaux Métropole
Face à une profonde crise du logement neuf à Bordeaux, Christine Bost la présidente de Bordeaux Métropole a frappé fort en annonçant un plan de relance de 35,4 millions d’euros sur deux ans. Ce financement, réparti en 20 millions d’euros en 2024 et 15 millions d’euros d’ici 2026, vise à soutenir les bailleurs sociaux, les communes, et indirectement les bailleurs privés. La métropole espère ainsi relancer une construction en forte baisse, marquée par une chute de 60 % des ventes de logements neufs en 2023.
La moitié de cette enveloppe, soit 15 millions d’euros, est destinée aux organismes HLM pour financer des opérations gelées et répondre à une demande croissante de logements sociaux, avec 47 000 demandes en attente dans l’agglomération. L’autre moitié cibles les maires « bâtisseurs », via des cofinancements pour les équipements publics et des incitations à densifier les zones urbaines.
Un bras de fer politique et juridique
Quelques mois plus tard, une annonce est venue perturber cette ambition politique. En septembre dernier, via son association VV Love, a contesté devant la justice administrative le plan local d’urbanisme de Bordeaux Métropole. Ce cabinet, spécialisé dans la densification Bimby (Building in my backyard : construction dans mon jardin), affirme que le PLU contient une "règle illégale" qui bloque la construction de logements sur 70 000 terrains.
Le règlement actuel interdit d’ajouter de nouvelles bandes d’accès reliant une route à une habitation dans les quartiers denses de la métropole. Cette règle empêche la division des parcelles et les projets de construction de maisons sur différents terrains. Selon Villes Vivantes, cette interdiction relève normalement des prérogatives du service voirie et non d’un PLU, qu'il applique pourtant depuis 2006.
Densification vs tradition : un défi pour l’avenir urbain de Bordeaux

Pour se défendre, la Métropole se justifie par un enjeu de sécurité sur les voies de circulation et d’organisation de l’espace : La multiplication des bandes d’accès ne produit pas toujours un urbanisme de grande qualité. Avoir plusieurs voies côte à côte est contraire à l’objectif de préserver les espaces de l’artificialisation
selon Marie Claude Noël, vice-présidente de Bordeaux Métropole à la stratégie urbaine et au PLU. Selon elle, la densification Bimby n’est pas l’alpha et l’oméga d’une politique urbaine
.
Une « organisation urbaine élitiste »
Selon le cabinet, cette approche masque en réalité une volonté de freiner l'émergence de nouveaux bâtiments et d'empêcher l'installation de nouveaux résidents au sein du tissu urbain.
Ce qu’on voit, ce sont des gens bien logés qui refusent de loger les moins aisés qu’eux. C’est un peu la logique du dernier arrivé ferme la porte. On est face à un PLU excluant alors qu’il affiche les ambitions inverses
estime David Miet, cofondateur et président de Villes Vivantes.
Outre le centre-ville, Bordeaux s’est traditionnellement construite à l’horizontale, par un urbanisme dominé par des échoppes dotées de jardins à l'arrière, avec une densité bien plus faible que celle de la métropole toulousaine, inférieure de 23 %. Si ce cadre de vie, verdoyant et paisible, est apprécié, il reste élitiste. Aujourd’hui, avec la loi Zéro Artificialisation nette qui limite l’expansion urbaine et l’arrivée de nouveaux habitants, la construction de logements dans ces zones suscite de nombreuses résistances.
Le poids des règles locales : un frein à la densification urbaine

Certaines communes de Bordeaux continuent de bloquer des projets de divisions de terrains, s’appuyant sur des règles locales restrictives. Par exemple, des lettres de refus rédigées par des services municipaux évoquent une interdiction liée aux voies d’accès ou exigent des documents difficiles à fournir, comme des compensations pour des arbres coupés. Les terrains concernés, allant de 900 à 1 600 m², sont pourtant bien au-dessus des normes fixées par le Schéma de cohérence territoriale (Scot), qui recommande des parcelles de 150 à 450 m² dans les zones denses.
Un autre frein est l’application persistante de l’ancienne règle du « minimum parcellaire », supprimée en 2014 par la loi Alur pour encourager la densification. Malgré cela, certaines communes continuent d’imposer des seuils élevés : 300 m² à Pessac, 350 m² en centre-ville selon le PLU, ou même 800 m² à Bouliac jusqu’à récemment. Ces restrictions limitent fortement les possibilités de construction, freinant ainsi les efforts de densification et la création de nouveaux logements.
"Maires bâtisseurs, maires battus"
Pour les élus locaux, la construction de nouveaux logements dans le cadre de la densification urbaine demeure une mesure largement impopulaire, bien que cette idée soit fréquemment contredite. Bien souvent, les maires considèrent que s’ils construisent trop, ils ne seront pas réélus. Porter cette vision nécessite beaucoup de courage politique.
Au-delà de Bordeaux Métropole, le sujet de la densification suscite des tensions chez les élus et les propriétaires, notamment dans des villes à urbanisme horizontal.
Les professionnels de l’immobilier face au refus de construire
Face à une crise de la construction qui paralyse le secteur, les professionnels de l’immobilier commencent à exprimer leur mécontentement. Depuis quinze ans, le PLU est conçu pour empêcher toute construction individuelle dans les zones urbaines
critique Jérôme Banderier, président de l’Union pour le logement en Gironde, interrogé par La Tribune. Selon lui, certains services municipaux adoptent une position dogmatique, rejetant systématiquement les projets dans les jardins, ce qui contribue à l’arrêt de la construction.
Nicolas Bonadei, président du marchand de biens Valora à Bordeaux, dénonce également cette « culture anti-densification : Des élus nous affirment qu’ils n’accepteront pas de terrains inférieurs à une certaine surface. Aujourd’hui, ne pas respecter la loi est devenu une habitude
. Cependant, ces voix restent rares, et le recours juridique initié par les Villes Vivantes devient un relais pour une profession qui tente de dialoguer avec les décideurs politiques.
Densifier sans sacrifier les espaces verts

Si la densification urbaine est indispensable pour accueillir de nouveaux habitants dans les métropoles, elle doit se faire en respectant l’équilibre entre construction et qualité de vie. Gonzague Marraud des Grottes, directeur général associé de Valora rappelle à La Tribune que les relations avec les communes nécessitent des compromis pour éviter les blocages.
Dans une métropole comme Bordeaux, où les espaces verts sont rares, les jardins deviennent des refuges essentiels contre la chaleur et l’urbanisation. Des habitants demandent ainsi la création de parc de deux hectares près de la gare dans le cadre du projet Euratlantique.
Les élus, conscients de ces enjeux, plaident pour une densification sélective et réfléchie. Elle doit être compatible avec la végétalisation
affirme Marie-Claude Noël. Franck Raynal, maire de Pessac, insiste sur la nécessité de préserver les cœurs d’îlots, véritable réservoirs de biodiversité, Construire ne doit pas rimer avec destruction de notre patrimoine naturel commun
souligne-t-il. La réflexion actuelle vise donc à concilier objectifs de densité et préservation de l’environnement, en adaptant les approches selon les spécificités de chaque quartier.
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