ZAN 2031 en débat : Le Sénat remet en question les objectifs d'artificialisation des sols

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Avatar de l'auteur "Morgane Caillière" Morgane Caillière

le 15 octobre 2024

[ mis à jour le 16 octobre 2024 ]

SOMMAIRE

Le groupe sénatorial chargé d’étudier l’évolution du Zéro Artificialisation Nette (ZAN) a présenté son rapport le 9 octobre.

Transpartisan mais majoritairement composé de sénateurs Républicains, ce groupe formé en février a recueilli les avis de 1 470 personnes, dont de nombreux élus lors de tables rondes et en ligne.

Le rapport remet en question les objectifs fixés par le ZAN, qui visent à réduire de moitié l’artificialisation des sols d’ici 2031 et à atteindre le « zéro artificialisation nette » d’ici 2050, soulignant des difficultés de mise en œuvre.

70 intervenants et 500 réponses d’élus en ligne

Depuis la promulgation de la loi Climat-Résilience en août 2021, qui vise à réduire le rythme d’artificialisation des sols avec un objectif final de « zéro artificialisation nette » (ZAN) d’ici 2050, de nombreux élus locaux, acteurs économiques, et urbanistes ont exprimé des préoccupations croissantes.

La difficulté de concilier sobriété foncière et besoins territoriaux a engendré des tensions, en particulier sur la déclinaison locale des objectifs nationaux. Face à cette situation, le Sénat a créé, en février 2024, un groupe de suivi réunissant les commissions des affaires économiques, de l’aménagement du territoire, du développement durable et des finances. Présidé par Guislain Cambier et rapporté par Jean-Baptiste Blanc, ce groupe a mené des consultations entre mars et juillet 2024.

Les sénateurs ont organisé une dizaine de tables rondes et auditions impliquant 70 intervenants : élus locaux, urbanistes, universitaires et représentants économiques.

Parallèlement, une consultation en ligne a permis de recueillir plus de 500 réponses de la part d’élus locaux. Ces échanges ont permis de dégager un consensus sur la nécessité de la sobriété foncière , tout en soulevant des difficultés concrètes liées à la mise en œuvre de la loi Climat-Résilience.

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Le constat : Une adhésion partagée mais des méthodes contestées

Consensus sur la sobriété foncière

Les acteurs territoriaux reconnaissent l’importance de préserver les sols, compte tenu de leur rôle dans la biodiversité et la lutte contre le changement climatique. L’artificialisation des sols, responsable de la destruction d’habitats naturels et de la réduction des puits de carbone, menace également la souveraineté alimentaire du pays.

Chaque année, la France perd plus de 20 000 hectares de terres agricoles, naturelles ou forestières, avec un taux d’artificialisation quatre fois plus rapide que la croissance de la population. Tous les 10 ans c'est l'équivalent d'un département qui disparaît sous l'étalement urbain.

Plus des deux tiers des intercommunalités et des SCoT souscrivent à l’objectif de sobriété foncière, reconnaissant la nécessité d'adapter les modèles d’aménagement. Les élus locaux souhaitent soutenir des projets de construction moins consommateurs d’espace, mieux adaptés aux enjeux climatiques et environnementaux.

Critique des modalités de mise en œuvre

vue sur une table de chantier avec casque jaune
©Piyapong Wongkam - Shutterstock

Toutefois, l’application des objectifs de réduction de l’artificialisation suscite des critiques. La France est le seul pays européen à avoir fixé des objectifs chiffrés de réduction de l’artificialisation des sols, malgré un taux inférieur à des pays comme l’Allemagne ou le Royaume-Uni.

La fixation de ces objectifs a été jugée trop rigide, ignorante des dynamiques locales et des spécificités territoriales.

Selon une enquête menée par la Fédération nationale des SCoT en 2024, 60 % des élus estiment que le ZAN ne leur permettra pas de répondre aux besoins fonciers de leur territoire notamment pour le développement économique et l’industrialisation.

Il apparait en outre que les collectivités ayant déjà réduit leur consommation d’espace avant 2021 se trouvent pénalisées, et que les territoires ruraux ou de montagne font face à des contraintes supplémentaires. Par ailleurs les sénateurs soulignent la superficie importante demandée par les grands projets économiques et industriels, difficilement compatible avec les restrictions imposées par le ZAN.

Premières modifications législatives en 2023

En 2023, des modifications de la loi avaient déjà eu lieu qui incluaient une garantie de développement communal d’un hectare, des dispositions pour les communes littorales, et une meilleure prise en compte des besoins agricoles dans les critères de territorialisation.

Malgré ces aménagements, la consultation en ligne menée par le Sénat a révélé que 75 % des élus participants estiment que les critères de territorialisation ne sont pas appliqués de manière satisfaisante dans les Sraddet (schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires) en cours d’élaboration.

De nombreux élus ignorent l’existence de nouveaux outils d’urbanisme comme le droit de préemption ou le sursis à statuer, limitant leur capacité à freiner l’artificialisation sur leur territoire.

Des référents ZAN aux abonnés absents

L’un des principaux obstacles à la mise en œuvre de la loi réside dans sa complexité. Les élus locaux peinent à s’approprier les nouvelles obligations liées à la réduction de l’artificialisation, en raison d’un manque d'accompagnement pédagogique.

La période de référence pour la réduction de moitié de l’artificialisation court depuis 2021, mais les décrets d’application nécessaires ont été publiés tardivement, en novembre 2023, ce qui a retardé les ajustements nécessaires au niveau des collectivités.

Les élus signalent également des incohérences entre les données locales sur l’artificialisation et les chiffres fournis par l’État. Environ 80 % des élus affirment ne pas avoir eu de contact avec les référents « ZAN » nommés au sein des préfectures, renforçant leur sentiment d’abandon.

Le manque de dialogue entre les services de l’État et les élus locaux nourrit un sentiment d’incompréhension, limitant la capacité des collectivités à atteindre les objectifs fixés.

un chantier en France
© ALEXANDER V EVSTAFYEV - Shutterstock

Un soutien insuffisant des collectivités

Les services de l’État peinent à fournir un accompagnement homogène aux collectivités dans la mise en œuvre des objectifs ZAN. Bien que des efforts de formation aient été déployés, les collectivités manquent souvent d'ingénierie et doivent recourir à des prestataires privés coûteux pour mener à bien leurs projets.

L’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) et le Cerema, bien qu'actifs dans l’accompagnement, ne disposent pas de moyens suffisants pour couvrir l’ensemble des besoins des collectivités locales.

Les actions proposées par le groupe sénatorial

Le groupe de suivi propose deux axes d’action pour garantir une meilleure mise en œuvre de la politique ZAN :

Pour la période 2021-2031 : Soutenir les collectivités dans leurs efforts

Le groupe de sénateurs recommande de renforcer le soutien financier et en ingénierie pour aider les collectivités à réduire l’artificialisation tout en répondant aux urgences économiques, comme la crise du logement et la réindustrialisation.

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Cela inclut l’application systématique d’une tolérance de 20 % de dépassement des enveloppes d’artificialisation, en particulier pour les projets industriels ou de logements sociaux. Les élus devraient également bénéficier d’un accompagnement personnalisé sur le terrain, à travers un guichet unique centralisant les demandes et les informations.

En parallèle, le groupe sénatorial plaide pour la réduction des surcoûts liés à la sobriété foncière, en ajustant les mécanismes fiscaux pour que l’artificialisation soit plus coûteuse que la réutilisation des sols déjà artificialisés.

Une mission d’information sur le financement du ZAN a été lancée par la commission des finances du Sénat, et ses conclusions sont attendues dans les prochains mois.

Pour l’après-2031 : Adopter une approche plus flexible

Au-delà de 2031, le groupe propose d’ajuster la trajectoire de réduction de l’artificialisation en tenant compte des spécificités territoriales, en adoptant une approche « bottom-up » (décisions émergeant de la base vers la direction). Cela permettrait aux collectivités de justifier leurs besoins en foncier en fonction de leurs contraintes locales, sans se voir imposer des objectifs nationaux trop rigides.

Conclusion du rapport : Une révision de stratégie

Le groupe de suivi appelle à une révision en profondeur de la stratégie ZAN, afin de la rendre compatible avec les enjeux territoriaux et économiques.

Une meilleure coordination entre les politiques publiques est essentielle pour éviter les contradictions et les crises sociales, similaires à celle des « gilets jaunes ». Les sénateurs annoncent par ailleurs continuer à travailler sur ces enjeux et formulera des propositions législatives concrètes pour améliorer la mise en œuvre du ZAN au cours du premier semestre 2025.

Les sénateurs écologistes fustigent le rapport

Dans un communiqué, le groupe écologiste du Sénat dénonce ce rapport comme « une véritable atteinte à la trajectoire de la réduction de la consommation des espaces naturels, agricoles et forestiers ». Les sénateurs verts indiquent « voter contre ce rapport qui annonce des catastrophes à venir pour le climat, la biodiversité, l’avenir de la ruralité et de l’aménagement.”

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