Tensions à Bordeaux Métropole entre densification et étalement urbain

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le 16 novembre 2018

[ mis à jour le 03 février 2021 ]

SOMMAIRE

© Andrew Babble - shutterstock

Après l’euphorie des années 2000, animée par le fantasme d’une ville en passe de devenir millionnaire, le temps est désormais à la maîtrise dans la communauté urbaine de Bordeaux.

Depuis quelques années, plusieurs maires en sont venus à freiner drastiquement la politique de construction de logements neufs dans les villes périphériques de la métropole. Leur crainte ? Principalement, perdre en qualité de vie en sur-densifiant leurs villes, encore pensées comme des « villages urbains ». Le rythme des constructions, leur implantation géographique, la qualité de leur conception, leur intégration des impératifs écologiques, sont ainsi autant d’éléments que les municipalités veulent pouvoir modérer, encadrer, raisonner, afin qu’ils correspondent au mieux à leur projet urbain et aux volontés de leurs habitants.

Face à cette grogne grandissante, les promoteurs montent au créneau pour défendre leur vision de l’urbanisme, et la nécessité des « 50 000 logements autour des axes de transport collectifs » actée par la métropole dès 2010. Les différentes phases de réflexion autour de ce projet ont mené à l’élaboration d’une charte « 50 000 logements », adoptée par le Conseil de Bordeaux Métropole le 18 décembre 2015, visant à réunir les conditions de la coopération nécessaire entre les acteurs du Programme à son démarrage en 2017, l’objectif étant de « construire rapidement des logements de qualité à des prix accessibles ».

Intérêts et objectifs divergents, donc, qui mériteraient une conciliation raisonnée au profit de la ville elle-même et de ses habitants, actuels et à venir. Le mouvement est déjà en cours, puisque depuis le choc immobilier national de 2012, c’est un recul de 15% des ventes dans le neuf qui s’enregistre dans le périmètre élargi de Bordeaux Métropole.

Or le risque de nourrir une hausse des prix et un étalement urbain n’est pas négligeable, à l’heure où les tensions les plus vives ne permettent pourtant pas d’espérer une entente satisfaisante entre maires et promoteurs. La Métropole va-t-elle devoir arbitrer ? Quel juste milieu peut alors s’imaginer ? Pour y répondre, il semble d’abord pertinent de prêter l’oreille aux diverses positions assumées par les maires de la communauté urbaine sur ce sujet ces derniers mois.

L’affaire qui vient raviver les tensions

Au début du mois d’octobre, la fuite d’un courrier adressé au préfet de la Gironde Didier Lallement par Arnaud Roussel-Prouvost, président régional des promoteurs immobiliers, est venu ranimer des tensions vieilles de plusieurs mois entre élus et constructeurs de la capitale aquitaine.

Ce courrier, accusant la politique anti-construction des maires et en pointant les dangers, s’est retrouvé entre les mains du maire de Mérignac, Alain Aziani, par ailleurs l’un des principaux concernés par les accusations.

Les oppositions de ce dernier à la politique de construction portée par le gouvernement et par la métropole, et mis en œuvre par les promoteurs, sont très vives : « Je ne veux pas d'une ville bétonnée où le promoteur serait roi » , a-t-il déclaré à La Tribune.fr.

Or les positions du maire de la deuxième plus grande ville de Bordeaux Métropole ont un poids, d’autant qu’elles se veulent incitatives pour les autres villes concernées par ces tensions.

« Tous les maires constatent la même chose : une vraie fronde de nos habitants contre l'urbanisation actuelle, qui génère selon eux de la promiscuité, produit des logements de mauvaise qualité ou encore des problèmes de stationnement par manque de places de parkings. On construit trop, voilà ce que l'on me dit. Sur les 28 communes de la Métropole au moins 20 sont dans ce cas. Nous ne refusons pas de construire, poursuit-il, mais nous ne pouvons pas construire partout. »
Alain Aziani, maire de Mérignac – propos recueillis sur La Tribune.fr
© PA [CC BY-SA 4.0 (https://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0)], de Wikimedia Commons / Date de l’image : août 2017

Le président régional de la FPI ( la fédération des promoteurs immobiliers ), Arnaud Roussel-Prouvost, s’est inquiété de ces propos, et c’est, en substance, la raison de son cri d’alarme adressé au Préfet.
Pour lui, ce blocage politique vient mettre en danger l’application de la loi ELAN et l’un des objectifs centraux qu’elle porte : « construire plus, mieux et moins cher ».

« Cette posture pourrait avoir des effets catastrophiques, sur le plan de l'aménagement du territoire en premier lieu (étalement urbain) mais également sur l'économie du secteur du logement et du bâtiment dans son ensemble, qui pèsent lourdement sur l'économie locale. »
Arnaud Roussel-Prouvost, président régional de la FPI, propos recueillis sur La Tribune.fr

Cette affaire reste à suivre, puisque le maire de Mérignac a souhaité remettre ce sujet de l'urbanisation métropolitaine à l’ordre du jour du prochain Conseil de Bordeaux Métropole.
Elle intervient après plusieurs mois charnière dans le tournant urbanistique de l’aire métropolitaine, durant lesquels plusieurs élus, Alain Aziani en tête de file, ont témoigné de leur résolution à freiner la construction de logements neufs sur leur commune.

En juin 2018, Mérignac adopte une charte de l’urbanisme qui vient cadrer la production de logements neufs

Adoptée au conseil municipal du 29 juin 2018, la charte de l’urbanisme et de la qualité de ville de Mérignac est venue doubler la charte Bien construire à Bordeaux Métropole élaborée en février dernier et compléter le PLU 3.1 ( plan local d’urbanisme de la communauté urbaine bordelaise ), dont la dernière révision a été acceptée par le Conseil de la Métropole le 24 février 2017.

Ses ambitions : imposer certaines règles précises à la réalisation de logements neufs sur le territoire de la commune, qui conditionneront l’obtention des permis de construire. La charte indique ainsi que les promoteurs porteurs d’un projet de construction à Mérignac devront :

Ce document, s’il n’a pas juridiquement de valeur opposable, doit valoir comme feuille de route à la conception des futurs projets d'urbanisme à Mérignac. Le maire rappelle pour autant que les promoteurs auront tout intérêt à s’y conformer, puisque « Ce sont bien les mairies qui délivrent les permis de construire » .

Cette charte ne vient que comme renfort formalisé au mouvement de ralentissement de la construction déjà en marche à Mérignac. Elle vient définir les conditions d’une poursuite saine de l’urbanisation, propre à conserver cette « qualité de ville » que le maire comme ses habitants craignent de voir s’étioler.

« Nous créons du logement. C'est notre job et nous le faisons bien. Mais nous souhaitons freiner la construction de logements. Concrètement, pour le moment, si cela ne se voit effectivement pas, de février 2017 à février 2018, nous avons accordé deux fois moins de permis de construire pour des logements collectifs par rapport à l'année précédente. »
Alain Aziani, maire de Mérignac – propos recueillis sur La Tribune.fr

© C D _ FR « Bègles, Chantier de l'écoquartier Terre Sud », via Flickr / Date de l’image : avril 2012

Bègles également à la restriction

Le maire de Bègles, l'écologiste Clément Rossignol Puech, s’est lui aussi positionné dans une dynamique d’urbanisation maîtrisée pour conserver l’identité de sa ville, qu’il désigne comme « une ville très dynamique qui conserve son image de village urbain ».

Venu prendre en juin 2017 la suite de Noël Mamère après ses 28 ans de mandat, le nouveau maire s’en démarque surtout par cette gestion raisonnée de la densification. Invité par le Club de la presse à faire un retour sur sa première année de mandat, il a annoncé vouloir stabiliser la construction neuve autour de 320 logements par an, conformément à l’objectif assigné à la commune par le programme local de l'habitat (PLH) de Bordeaux Métropole.

« On était à plus du double de ce chiffre l'an dernier. Ce n'était plus tenable et je veux donc imposer le R+1 maximum à Bègles, hors zones de projets. La ville doit prendre en compte les enjeux de gaz à effet de serre et de biodiversité tout en assurant une diversité fonctionnelle conjuguant emplois, logement, commerces et services. (…)
Bègles bâtit déjà beaucoup puisqu'elle figure dans les cinq communes de la métropole qui construisent le plus. Mais au-delà, on ne maîtrise plus le rythme de développement de la ville et on n'est plus capable de suivre en termes de services et d'équipements publics pour la population. Le long du tramway nous autorisons jusqu'au R+4 mais nous voulons préserver nos quartiers d'échoppes et éviter que la commune ne mute trop rapidement. »
Clément Rossignol Puech, maire de Bègles – propos recueillis sur La Tribune.fr

Et ce ralentissement de la mutation de la ville passe par la restriction drastique des délivrances de permis de construire. Si bien que le maire a pu se féliciter de son chiffre : « J'ai refusé plus de 1.000 logements depuis un an ! » .

Pessac : urbanisme modéré et « slow building »

À l’occasion de son point presse de rentrée du 12 septembre, le maire de Pessac, Franck Raynal, s’est également montré satisfait de sa politique d’ « urbanisme modéré », fier « d'avoir diminué de plus de moitié le nombre de permis de construire délivrés à Pessac en 2016 par rapport à 2015 », et d’avoir poursuivi dans cette même dynamique depuis.

Comme à Mérignac, le maire a voulu pérenniser cette politique par une « charte urbaine et paysagère », qui sera présentée au prochain conseil municipal. Cette charte est destinée à imposer aux promoteurs de « préserver les arbres et les espaces verts, l'identité des quartiers et la qualité de vie » .

« Nous devons tenir la promesse de Pessac. Notre commune est une ile où l'on vit bien et le temps de la course démographique avec Mérignac est terminé. La croissance démographique et l'urbanisation ne sont pas souhaitées par les habitants qui n'ont pas choisi Pessac par hasard. Nous avons une vraie qualité de vie. Nous acceptons de densifier mais seulement le long du tram. »
Franck Raynal, maire de Pessac – propos recueillis sur La Tribune.fr

À l’opposé de la course, le maire souhaite promouvoir le « slow building, c'est à dire un rythme acceptable par les habitants et qui nous permet de suivre en termes de services publics et de commerces de proximité » . Et en réponse aux accusations de malthusianisme portées par le président régional de la FPI, Franck Raynal répond : « Non, nous ne disons pas que nous ne construirons pas mais que nous le ferons au rythme qui nous convient » .

En 2016, seuls 7 des 37 projets de dix logements ou plus présentés à la commune ont reçu son aval, et la hausse exceptionnelle des prix des appartements entre 2017 et 2018 (+12,7%, une des cinq plus fortes hausses de France cette année) est un résultat collatéral de ces volontés, comme l’est le risque d'accroître l'étalement urbain à la périphérie de la métropole.

Or les enjeux environnementaux liés à l’étalement urbains ne sont pas maigres. Cela signifie, a minima, une surconsommation d’espaces naturels et agricoles, ainsi qu’une hausse du trafic automobile. Interrogé sur ce point, le maire de Pessac assume, à nouveau et fermement, sa position.

« Notre empreinte urbaine communale a légèrement diminué l'an dernier, c'est une première ! (…)
Le tram B qui dessert le campus et Pessac est déjà saturé et on voudrait que je construise davantage ? Mais il faut alors que les équipements métropolitains suivent. La population des communes de première couronne a beaucoup augmenté ces dernières années, aspirant une partie de la population bordelaise. Nous avons déjà ouvert 24 classes en primaire et maternelle depuis 2014 ! C'est désormais à la commune de Bordeaux de densifier son territoire et d'accueillir en priorité les nouveaux arrivants.
Pessac s'est beaucoup étalée et je ne l'étalerai pas plus ! »
Franck Raynal, maire de Pessac – propos recueillis sur La Tribune.fr

© Google

À Talence, la politique du juste milieu

Le maire de Talence, Emmanuel Sallaberry, qui a succédé en 2017 aux 24 ans de mandature d’Alain Cazabonne, a tiré ce mercredi 17 octobre un premier bilan de son début de mandat municipal.
Il a annoncé vouloir lui aussi un urbanisme plus « raisonné » pour sa commune.

« On ne peut pas rester sans réponse. La politique dans ce domaine repose sur plusieurs pilliers : on préserve, on conserve des droits à construire uniquement le long des lignes de transports en commun et on a un urbanisme raisonné et maîtrisé. On applique ces principes depuis un an et ça marche plutôt pas mal. Quand on associe les habitants, on leur montre des choses et on arrive à monter des projets réellement insérés. On a un urbanisme apaisé. »
Emmanuel Sallaberry, maire de Talence – propos recueillis sur Aqui.fr

Les préconisations définies par la communes pour l’application de son futur Plan Local d’Urbanisme en 2019 vont dans ce sens, se montrant à la fois engagées et conciliatrices.

Le maire de Talence, conscient des enjeux d’une politique de restriction en matière de construction de logements, semble temporiser davantage que ses homologues des autres communes limitrophes de la métropole. Il souligne ainsi ses efforts pour compenser la hausse des prix, réguler la spéculation et maintenir un parc immobilier accessible aux plus modestes.

« On a moins de permis de construire parce qu'on a préservé des quartiers pavillonnaires. L'inconvénient, c'est qu'en ayant moins d'offres, on participe aussi à un renchérissement du prix, mais c'est dans des opérations comme la vente de la salle de La Médoquine, qui aurait pu être vendue beaucoup plus cher (8,5 millions d'euros pour le bâtiment principal) qu'on tente de réguler la spéculation. On est aussi l'une des villes de la métropole à respecter le taux de 25% minimum de logements sociaux, et on en impose 30% à chaque opération immobilière de plus de 1500 mètres carrés. »
Emmanuel Sallaberry, maire de Talence – propos recueillis sur Aqui.fr

Le juste milieu, en somme, semble présider à la prise de décision du côté de Talence.
Pour le reste de la ceinture urbaine de Bordeaux, le temps est bien plutôt au repli, et il conviendra de suivre avec attention l’évolution de ces positions dans les prochains mois, ainsi que la posture de la métropole face à ces problématiques qui, comme l’urbanisation, n’ont certainement pas fini d’enfler.

En clair :

Les communes périphériques de Bordeaux, Mérignac en tête, ont amorcé une reprise en main de leur urbanisation, qui passe par une restriction du nombre de permis de construire accordés. Les maires souhaitent encadrer davantage l’action des promoteurs, prônant la nécessité d’une densification raisonnée sur un rythme modéré, bien que cet objectif entre en conflit avec les projets de développement de l’habitat de la métropole.

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