Budget 2026 : La revanche de la chambre d'hôte sur la location touristique ?
SOMMAIRE
- 2025 : Le tour de vis qui a tout changé
- L'amendement I-3767 : La ruralité veut son "exception fiscale"
- Ne pas confondre chambre d’hôte et meublé de tourisme
- Analyse chiffrée : Quel impact sur la feuille d'impôt ?
- Scénario A : La Chambre d’hôtes à Bordeaux
- Scénario B : Le Meublé de tourisme Classé (hors ruralité)
- Scénario C : Le Meublé de tourisme Non Classé
- Le "Gîte Rural" : Une nouvelle définition pour sanctuariser l'activité
- Un poids lourd de l'économie rurale en balance
- L'heure des choix : Que faire en attendant le vote ?
Après le tour de vis fiscal de 2025, un amendement au projet de loi de finances 2026 tente de sanctuariser l'accueil "chez l'habitant" en zone rurale, tout en maintenant la pression sur les locations urbaines. En jeu : des milliers d'euros d'impôts et deux visions du tourisme.
Le paysage de la location touristique en France est en pleine redéfinition fiscale. Après un durcissement généralisé des règles pour les revenus 2025, qui a aligné dans la douleur chambres d'hôtes et meublés classés, une bataille parlementaire s'engage pour le budget 2026. Au cœur du débat : l'amendement n° I-3767, déposé le 23 octobre dernier par le député Fabien Di Filippo (LR).
Son objectif : créer une "clause d'exception" pour les chambres d'hôtes et les gîtes ruraux, considérés comme essentiels à la vitalité des territoires, en les sortant du régime fiscal punitif appliqué aux meublés de tourisme, souvent assimilés à la spéculation immobilière en zone tendue.
Alors que les propriétaires finalisent leurs calculs pour la déclaration 2026 (sur les revenus 2025) qui s'annonce salée, cette proposition rouvre un dossier technique aux implications économiques et politiques majeures. Analyse d'une distinction fiscale qui n'a rien d'un détail.
2025 : Le tour de vis qui a tout changé
Pour comprendre l'urgence de l'amendement Di Filippo, il faut revenir sur le "coup de massue" fiscal entré en vigueur pour les revenus 2025 (qui seront déclarés au printemps 2026). Dans une volonté de réguler le marché locatif, héritée de la loi Le Meur de novembre 2024, le législateur a drastiquement resserré les boulons du régime micro-BIC, le système simplifié plébiscité par de nombreux petits loueurs.
Comme le confirme le portail officiel Service-public.fr, les règles applicables depuis cette année sont les suivantes :
- Meublés de tourisme non classés : C'est la cible principale des régulateurs. Le plafond du micro-BIC s'est effondré, passant de 77 700 € à seulement 15 000 € annuels. L'abattement forfaitaire (censé couvrir les charges) a été réduit de 50 % à 30 %. Au-delà de 15 000 €, le passage au régime réel (déduction des charges réelles, comptabilité obligatoire) est automatique.
- Meublés de tourisme classés : Ils ont également subi une cure d'austérité. Leur plafond a été ramené de 188 700 € à 77 700 €, et leur abattement de 71 % à 50 %.
- Chambres d’hôtes : C'est là que le bât blesse pour les investisseurs du monde rural. Historiquement protégées par le régime le plus favorable (identique aux classés d'avant), elles ont été entraînées dans la chute. Pour leurs revenus 2025, elles se voient appliquer le même régime que les meublés classés : un plafond de 77 700 € avec un abattement de 50 %.
En résumé, la loi fiscale 2025 a mis dans le même sac une chambre d'hôtes en Lozère et un appartement classé 3 étoiles dans le Marais à Paris. Une simplification qui, selon les défenseurs du tourisme rural, ignore la réalité du terrain.
L'amendement I-3767 : La ruralité veut son "exception fiscale"
C'est précisément cette "injustice" que l'amendement I-3767, actuellement "À discuter" dans le cadre du Projet de Loi de Finances (PLF) 2026, entend corriger. Si adopté, il créerait une division fiscale nette dès le 1er janvier 2026.
La proposition vise à :
- Rétablir un régime hyper-incitatif pour les seules chambres d'hôtes et les futurs "gîtes ruraux" (voir ci-dessous) : un abattement de 71 % (contre 50 % actuellement) et un plafond de recettes relevé à 188 700 € (contre 77 700 €).
- Sortir ces deux catégories des règles restrictives applicables aux meublés de tourisme urbains.
L'objectif politique, tel qu'il figure dans l'exposé sommaire de l'amendement consulté sur le site de l'Assemblée nationale, est clair : il s'agit d'« éviter des 'effets de bord' pour une activité majoritairement rurale, supposée ne pas contribuer à la tension locative ». Le texte prend soin de préciser qu'il ne remet pas en cause la régulation en ville, mais cherche à "préserver" un modèle d'hospitalité différent.
Ne pas confondre chambre d’hôte et meublé de tourisme
Le cœur du problème réside dans la confusion fréquente entre ces deux formes d'hébergement. Or, la loi les distingue très clairement, et c'est cette distinction juridique que l'amendement Di Filippo veut traduire en distinction fiscale.
- La Chambre d’hôtes (Code du tourisme, L.324-3) : Il s'agit de chambres meublées situées chez l'habitant (dans son habitation ou sur son terrain). La location est assortie de prestations obligatoires : la fourniture groupée de la nuitée et du petit-déjeuner, la fourniture du linge de maison, l’accueil assuré par l’habitant. La capacité est limitée à 5 chambres et 15 personnes. C'est un modèle d'accueil intégré.
- Le Meublé de tourisme (Code du tourisme, L.324-1-1) : Il s'agit d'une villa, d'un appartement ou d'un studio, loué à l'usage exclusif du locataire. Le propriétaire n'est pas présent. C'est le modèle type des plateformes comme Airbnb ou Abritel, où le locataire dispose du logement entier.
La philosophie est radicalement différente : l'une relève du partage d'habitat, l'autre de la location d'un bien immobilier.
Analyse chiffrée : Quel impact sur la feuille d'impôt ?
Pour mesurer l'enjeu, prenons l'exemple d'un propriétaire bordelais réalisant 60 000 € de recettes annuelles. Nous supposons qu'il reste au micro-BIC (ses charges réelles sont faibles) et que son foyer est imposé dans la tranche à 11 % (hors prélèvements sociaux de 17,2 %).
Scénario A : La Chambre d’hôtes à Bordeaux
Avec la règle 2025 (en vigueur) :
- Abattement : 50 %
- Base imposable : 60 000 € × 50 % = 30 000 €
- Impôt sur le revenu (11 %) : 3 300 €
- Prélèvements sociaux (17,2 %) : 5 160 €
- Total des prélèvements = 8 460 € (Soit 14,1 % du CA)
Si l'amendement I-3767 est adopté pour 2026 :
- Abattement : 71 %
- Base imposable : 60 000 € × (100 % - 71 %) = 17 400 €
- Impôt sur le revenu (11 %) : 1 914 €
- Prélèvements sociaux (17,2 %) : 2 993 €
- Total des prélèvements = 4 907 € (Soit 8,2 % du CA)
Verdict : Pour ce propriétaire de chambres d'hôtes, l'adoption de l'amendement représenterait une économie d'impôt directe de 3 553 € par an. (Sous réserve d’adoption de la loi.)
Scénario B : Le Meublé de tourisme Classé (hors ruralité)
Avec la règle 2025 (en vigueur) :
- Abattement : 50 %
- Base imposable : 30 000 €
- Total des prélèvements = 8 460 €
Impact de l'amendement 2026 :
- Aucun. Le meublé classé (s'il n'est pas un "gîte rural" défini) resterait à 50 % d'abattement.
- Total des prélèvements = 8 460 €
Verdict : L'amendement crée bien une divergence fiscale. À 60 000 € de revenus, le propriétaire de chambre d'hôtes paierait 3 553 € de moins que le propriétaire d'un appartement classé en ville.
Scénario C : Le Meublé de tourisme Non Classé
Avec 60 000 € de recettes, ce loueur dépasse très largement le plafond micro-BIC de 15 000 €. Il est obligatoirement au régime réel. L'impact fiscal dépendra de ses charges (intérêts d'emprunt, travaux, amortissement). Cette catégorie reste, de loin, la plus lourdement traitée par la loi 2025.
Le "Gîte Rural" : Une nouvelle définition pour sanctuariser l'activité
L'autre innovation majeure de l'amendement est de vouloir inscrire dans le marbre du Code du tourisme (nouvel article L.324-6) une définition du "gîte rural", afin qu'il bénéficie du même régime de faveur que la chambre d'hôtes. En Gironde seraient concernés Saint Emilion, Blaye, Pauillac mais également les communes du Bassin d'Arcachon.
La définition proposée est restrictive et vise clairement à écarter les investissements urbains :
- Forme : Une maison indépendante ou un appartement dans un bâtiment de 4 logements maximum.
- Localisation : Situé hors métropoles (au sens du Code général des collectivités territoriales).
- Qualité : Respectant des signes de qualité officiels reconnus par l'État et contrôlés.
Cette définition légaliserait la distinction entre l'offre rurale, que les parlementaires souhaitent soutenir, et l'offre urbaine, qu'ils souhaitent réguler.
Un poids lourd de l'économie rurale en balance
Cette bataille fiscale n'est pas anecdotique. Les réseaux d'hébergeurs ruraux, Gîtes de France, martèlent depuis des mois que l'alignement fiscal de 2025 est une erreur stratégique. Selon Gîtes de France (estimation réseau), ce secteur génère 2,2 milliards d'euros de retombées économiques annuelles et soutient l'équivalent de 31 500 emplois à temps plein, souvent dans des zones où l'activité économique se fait rare.
Pour ces acteurs, la chambre d'hôtes ou le gîte rural n'est pas un simple investissement passif ; il s'agit d'une activité qui finance l'entretien du patrimoine, fixe des familles en zone rurale et génère une activité locale (commerces, artisans, restaurants). L'argument porté par le député Di Filippo est que l'abattement de 71 % n'est pas une "niche fiscale", mais la juste compensation d'une activité plus contraignante (accueil, présence, services) et moins rentable que la simple location d'un appartement en ville.
L'heure des choix : Que faire en attendant le vote ?
À la date du 6 novembre 2025, il est crucial de garder la tête froide. L'amendement n° I-3767 n'est qu'une proposition. Le parcours parlementaire du PLF 2026 est encore long (navette Assemblée-Sénat, recours éventuel au 49.3) et le texte peut être modifié, voire rejeté.
Pour les propriétaires de chambres d'hôtes, la situation est inconfortable :
- La certitude : Les revenus 2025 (déclarés en 2026) seront bien taxés sur la base de 50 % d'abattement (ou au réel).
- L'incertitude : Le régime des revenus 2026 dépendra du vote final de la loi de finances.
Face à l'abattement réduit à 50 %, de nombreux exploitants de chambres d'hôtes et de meublés classés, qui n'y songeaient pas auparavant, ont intérêt à simuler un passage au régime réel. Si leurs charges (amortissement du bâtiment et du mobilier, intérêts d'emprunt, factures d'énergie, assurance, frais de promotion) dépassent 50 % de leurs recettes, le réel devient plus avantageux, bien qu'il exige la tenue d'une comptabilité.
Le vote du PLF 2026, attendu d'ici la fin de l'année, dessinera une ligne de partage claire. Soit le législateur confirme l'alignement fiscal général de 2025, au risque de fragiliser l'accueil chez l'habitant ; soit il consacre, pour la première fois aussi nettement, une fiscalité à deux vitesses, reconnaissant que louer une chambre d'hôtes à la campagne et un studio sur une plateforme à Paris ne sont, décidément, pas le même métier.
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