Les personnalités emblématiques de Bordeaux

SOMMAIRE

Bordeaux a vu naître au fil de son Histoire plusieurs personnalités dont la renommée est parvenue jusqu’à nous, et continue de s’attacher à l’image de la ville. Découvrez-en davantage sur ces noms qui ont participé à dorer le patrimoine bordelais de leur audace, de leur ferveur et de leurs passions respectives.

Ausone

Né vers 309 à Bordeaux, Ausone est un poète, homme politique, homme de lettres et pédagogue gallo-romain. Son rayonnement sur l’Occident durant le Bas-Empire fut tel qu’on le considère souvent, à tort, comme le premier représentant des lettres latines et de l’usage du latin en France.
Decimus Magnus Ausonius est fils du médecin et homme politique Julius Ausonius et d’Æmilia Æona, tous deux issus de familles de propriétaires terriens dans le Sud-Ouest de la Gaule. À leur mort, il hérite une dizaine de domaines de la vallée de la Garonne.

Il étudie à Bordeaux puis à Toulouse, avec le soutien de son grand-oncle et précepteur Æmilius Magnus Arborius. De retour à Bordeaux, il se consacre un temps au droit avant de se diriger vers l’enseignement de la grammaire, puis de la rhétorique. Il aura notamment pour élève l’illustre Paulin de Nole (bientôt évêque et Saint, poète religieux et chrétien exalté), avec qui il entretiendra une longue correspondance. En 364, l’Empereur de Rome le charge de prendre la relève du précepteur de son fils Gratien. Ausone deviendra ensuite comte et questeur du palais lorsqu’en 374, à la mort de son père, Gratien se saisit des affaires impériales. Il sera plus tard fait préfet des Gaules et proconsul d'Asie. À la mort du jeune Gratien en 383, le vieux conseiller impérial revient à Bordeaux. C’est là que, prenant le temps de profiter de ses amis et des plaisirs de la lecture et de la nature, il compose et met en forme ses derniers ouvrages avant de s’éteindre, en 394, dans une de ses villas girondines.

Ausone laisse derrière lui une œuvre poétique tournée vers la contemplation de la nature, de la beauté et de la richesse des régions de Gaule. Il nourrit ses vers de ses observations passionnées des poissons, et c’est en tant que poète, pêcheur et professeur qu’il en célèbrera la physionomie, les comportements et les milieux :
« qui nec dum salmo nec iam salar »
« toi, truite saumonée, qui n'es pas encore le saumon et n'es plus la truite »

Il célèbre également sa famille, ses proches, ses professeurs, ses protecteurs, et les Héros de l’Histoire romaine. Ces poèmes-là ne seront qu’élégies. Quant à sa correspondance avec Paulin de Nole, elle représente un témoignage précieux des mœurs et du mode de vie de l’aristocratie de l’époque. Elle est également la mise en regard de deux idéaux de vie qui divisaient alors la société, et l’aristocratie : la piété vaut-elle de priver le Monde, l’État et la littérature de son brillant esprit ? Vaut-elle de se priver soi-même du Monde ? Autant de questions qui ont animé et émulé ces deux intellectuels, et forment un débat en réalité insoluble.

À Bordeaux, on lui rend hommage :
  • Château Ausone à Saint-Émilion fût baptisé avec le nom du poète en 1592. Le château est à l'emplacement supposé de la villae Lucaniacum, palais qui appartenait à Ausone par son beau-père.
  • L'Institut d'archéologie en sciences de l'Antiquité et du Moyen ge de l'université Bordeaux-Montaigne est appelé Institut Ausonius.
  • La rue qui sépare la grande école « Sciences Po Bordeaux » de la faculté d'excellence de droit de l'université de Bordeaux porte le nom d'allée Ausone, tout comme la lettre d'information de Science Po.
  • Une station de l'extension de la ligne C du réseau de tramways de Bordeaux porte son nom.

Aliénor d’Aquitaine (v. 1122-1204)

Née vers 1124 près de Bordeaux, Aliénor d’Aquitaine est connue pour l’exceptionnel rôle politique qu’elle tient au cours de sa longue vie, bouleversant la tradition masculine attachée au pouvoir en se montrant à maintes reprises pilier et façonnière du règne de ses fils et maris. Elle a aussi pu représenter l’une des premières figures de ce qu’on appellera l’Amour courtois, par sa beauté, son caractère séducteur et libéré. Enfin, elle est souvent montrée comme une protectrice des arts et des lettres, pour avoir soutenu et permis l’expression des troubadours, romanciers et poètes de son temps.

Celle qu’on appelle aussi parfois Éléonore de Guyenne est fille de Guillaume X et d’Aliénor Châtellerault. Elle hérite vers 15 ans du comté de Poitiers et des duchés d’Aquitaine et de Gascogne, et c’est la même année qu’elle épouse Louis le Jeune, le 25 juillet 1137, quelques jours à peine avant qu’il devienne roi. Princesse d’Aquitaine de naissance, elle est Reine de France dès son adolescence. Elle tient son rôle à merveille, reçoit la noblesse, accueille les joutes et les troubadours, tout en s’occupant seule de la gestion de son duché.

Très vite, les relations avec celui qui est devenu Louis VII s’enveniment : « il est plus moine que roi », dira de lui Aliénor, le jugeant faible, très dévot et trop colérique avec son peuple. Leur croisade à Antioche continue de l’en éloigner, et quand le Roi met en doute sa fidélité en la soupçonnant d’une relation avec son oncle, décidant alors leur départ sur-le-champ, la Reine s’indigne et parle de séparation. La jalousie qu’il entretient face à l’attitude libérée de la Reine, alimentée par des rumeurs sur sa légèreté, achèvera de dissoudre leur union.

Après qu’elle lui a donné deux filles, entre réconciliations et nouveaux déchirements, Louis présente devant l’assemblée, à Pâques 1152, une requête pour nullité du mariage. Fondée sur un prétexte de consanguinité au quatrième degré invoqué par Aliénor lors de la dispute à Antioche, et surtout motivée par une volonté de conserver un peu de dignité au Roi, la décision positive de l’Assemblée est rendue.

Quelques six semaines après sa répudiation par Louis VII, Aliénor épouse Henri Plantagenêt, malgré le fait que Louis ait tout mis en œuvre pour l’en empêcher. Elle l’avait rencontré un an plus tôt, et elle espère effectivement le retrouver quand après sa séparation elle fuit à Poitiers les menaces d’enlèvement de son frère Geoffroy Plantagenêt. Mais Aliénor ne trouve pas plus le bonheur avec son second mari. Henri, devenu Henri II en même temps que roi d’Angleterre, se montre volage. Il s'accapare le pouvoir, laissant à la duchesse d’Aquitaine, maintenant aussi duchesse de Normandie et reine d’Angleterre, le seul soin de s’occuper de leurs huit enfants qui vont naître.
Aliénor est furieuse, elle cherche même à dresser ses enfants contre leur père. Elle finit par quitter l’Angleterre et se retirer à Poitiers, au milieu de sa cour de poètes.

Henri, qui la soupçonne d’avoir assassiné son ancienne maîtresse, l’enferme durant seize ans dans les cachots de divers châteaux anglais. C’est son fils Richard Cœur de Lion qui, devenu roi à la mort d’Henri, la libère.
À partir de ce jour, Aliénor se consacre à la visite de ses contrées d’Aquitaine et du Poitou. Elle assure la Régence pendant le départ de Richard en croisade et, bien qu’elle y soit d’abord réticente, c’est elle qui négocie son mariage avec Bérengère d’Aragon à son retour.

Pendant son absence, c’est aussi elle qui contrecarre les manoeuvres de Jean sans Terre, qui souhaite s’emparer de la couronne de son frère. Mais Richard ne revient pas : il est fait prisonnier de l’Empereur d'Allemagne. C’est alors encore elle qui se démène pour réunir la rançon nécessaire à le libérer.
Quand Richard se blesse et meurt quelques années plus tard, Aliénor refuse de voir une autre lignée accéder au trône. Passant outre sa trahison, elle pousse son fils cadet, Jean sans Terre, à prendre le pouvoir, et tente d’apaiser ses relations avec Philippe-Auguste, le roi de France, en faisant une tournée politique de ses terres françaises.

Pour sceller la paix, elle descend en Castille participer à la négociation du mariage de sa petite-fille Blanche avec le futur Louis VIII, héritier de Philippe-Auguste.
Touchant à la fin de sa vie, elle laisse l’héritage à son petit-fils Henri III et se retire à l’abbaye de Fontevraud, où elle s’éteint, octogénaire, en faisant l’aumône aux pauvres. Deux fois reine, mère de trois rois, Aliénor d’Aquitaine a régné presque sept décennies, au cours desquelles elle a sillonné inlassablement l’Europe pour tenter de préserver l’unité et la paix de son domaine.

À Bordeaux :
Les vignobles Chatonnet lui dédient un vin, Esprit d’Aliénor.
Un collège de la ville porte son nom.

Le saviez-vous ?
Tout en étant exceptionnelle, la vie d'Aliénor témoigne du comportement très libre des femmes au Moyen age, du moins dans les classes supérieures. Elles suivent leur mari à la croisade, étudient, animent des cours etc. Elles sont néanmoins handicapées dans la conduite de la guerre. Comme Aliénor, elles doivent dans ces occasions se faire épauler par un mari, un fils ou un fidèle vassal.
Les femmes perdront leur autonomie à la Renaissance, quand les juristes ressusciteront le droit romain et le statut d'infériorité féminine qui s'y attache. Le Code civil de Napoléon, plus romain que nature, aggravera encore cette situation...

La Boétie, Étienne de (1530 – 1563)

Né à Sarlat le 1ᵉʳ novembre 1530 dans une famille de magistrats, Étienne de La Boétie incarne la figure du lettré engagé dans les institutions de son temps. Après des études de droit à Orléans, il obtient sa licence le 23 septembre 1553, date la plus ancienne attestée de sa biographie. FranceArchives L’année suivante, il est reçu conseiller laïc au parlement de Bordeaux, en mai 1554, deux ans avant l’âge légal, ce qui signale la réputation acquise durant ses études. À Bordeaux, il siège à la première chambre des Enquêtes jusqu’à sa mort en 1563, dans un contexte de tensions religieuses entre catholiques et protestants.

Michel de L’Hospital lui confie plusieurs missions de conciliation pendant les premières guerres de Religion, notamment des négociations destinées à apaiser les troubles locaux. FranceArchives C’est au parlement de Bordeaux que La Boétie rencontre Montaigne, entré dans la même cour en 1557 : de cette proximité naît l’amitié que l’on connaît par le chapitre « De l’amitié » des Essais, Montaigne évoquant une « convenance inexplicable » entre leurs esprits. La Boétie laisse un texte unique, le Discours de la servitude volontaire, rédigé vers 18 ans, probablement dans le sillage de la répression de la révolte antifiscale de 1548 en Guyenne. L’essai interroge la soumission des peuples à un pouvoir jugé tyrannique et analyse l’adhésion des dominés par l’habitude plus que par la force.

Le texte circule d’abord en manuscrit parmi les milieux lettrés avant une publication posthume en 1576 dans un recueil ligueur, sans l’accord de Montaigne. FranceArchives rappelle que, dans l’exercice de sa charge bordelaise, La Boétie se montre fidèle à la monarchie tout en restant attaché à l’idéal d’un pouvoir tempéré par la loi et le droit. FranceArchives Mort au Taillan-Médoc à 32 ans seulement, il laisse une œuvre brève mais durable dans l’histoire de la pensée politique, à la croisée du droit, de la philosophie et de l’expérience concrète du parlement de Bordeaux.

Montaigne (1533-1592)

Né le 28 février 1533 au château de Montaigne en Périgord, Michel Eyquem de Montaigne est un connu pour être un Humaniste et l’auteur des Essais, l’introspection la plus célèbre de la littérature. Après une enfance heureuse en son château, il fait des études de droit, et devient d’abord conseiller à la Cour des Aides de Périgueux, puis au Parlement de Bordeaux où il siège durant presque 15 ans.
C’est au palais de l’Ombrière qu’il fait la connaissance d’Etienne de la Boétie, de trois ans son aîné, humaniste et poète, auteur du discours de la servitude volontaire, hymne véhément à la liberté civique.

Leur amitié profonde inspirera à Montaigne cette célèbre phrase : « Parce que c’était lui, parce que c’était moi » (Essai I, 28). Après sa mort en 1563, et celle de son père en 1568, il se retire au château familial et consacre la plupart de son temps à la méditation et à la lecture des quelque mille ouvrages rassemblés dans sa "librairie", « belle entre les librairies de village », aménagée au dernier étage de cette tour qui devient son repaire.

« C’est là mon siège. J’essaie à m’en rendre la domination pure, et à soustraire ce seul coin à la communauté conjugale, et filiale, et civile ». S’appropriant la pièce, il fait graver sur les poutres du plafond des maximes du scepticisme antique et des sentences tirées de l’Écriture Sainte.
«Que sais-je ? » était sa devise, et quand on lui demandait d’où il était, il répondait, suivant l’exemple de Socrate : «Je suis du Monde », refusant toute étiquette géographique et toute discrimination entre les Hommes.

Il prônait la tolérance entre les êtres et le respect de la différence tant sociale que religieuse.
Il a posé les premiers fondements de l’Humanisme, ce courant de pensée qui veut que la société soit faite pour servir l’Homme et non l’inverse, cette philosophie qui replace l’humain au centre de la réflexion et qui induit la nécessité du respect mutuel. Défenseur de la nécessité pour les Hommes de communiquer, Montaigne est un personnage pétri d’esprit de justice et d’équité, qui a toujours prôné le dialogue comme remède à la violence et la réflexion comme préalable à l’action.
Son livre-monument, les Essais, est le résultat de vingt années de réflexion et d’écriture, qu’il poursuivra jusqu’à sa mort. Son intention est de montrer l’Homme tel qu’il est, sans chercher à le définir d’autorité en lui imposant de grands principes.
C’est donc lui qu’il veut montrer, dans sa plus pure individualité, dans ses travers et ses faiblesses très humaines.

En cela, Montaigne pose les principes d’une écriture de soi qui n’a pas fini de connaître ses retentissements en littérature comme en psychologie et en philosophie.
La richesse et l’étendue de cette œuvre ne permet pas de la résumer sans la trahir, mais on pourra dire qu’elle est une invitation à se connaître, soi et ses semblables, soi et le Monde, pour apprendre ce qui fait la condition et le bonheur de l’Homme. Les Essais se terminent ainsi naturellement sur une invite à la vie :
« C’est une perfection absolue et pour ainsi dire divine que de savoir jouir de son être.
Nous cherchons d’autres manières d’être parce que nous ne comprenons pas l’usage des nôtres, et nous sortons hors de nous parce que nous ne savons pas quel temps il y fait. De même est-il pour nous inutile de monter sur des échasses, car sur des échasses il faut encore marcher avec nos jambes. Et sur le trône le plus élevé du monde, nous ne sommes encore assis que sur notre cul. »*
*Essais, III, 13.

Ils parlent de lui…
Voltaire a écrit : « Savant dans un siècle d’ignorance, philosophe parmi des fanatiques, [Montaigne] qui peint sous son nom nos faiblesses et nos folies, est un homme qui sera toujours aimé. » Et Nietzsche : « Je ne connais qu'un seul écrivain que, pour l'honnêteté, je place aussi haut, sinon plus, que Schopenhauer, c'est Montaigne. En vérité, qu'un tel homme ait écrit, vraiment la joie de vivre sur cette terre en a été augmentée. »
Sa personnalité et sa vie ont suscité des images contradictoires : « Sceptique retiré dans sa tour d’ivoire, égoïste ou généreux, lâche ou courageux, ambitieux ou sage souriant, stoïcien ou épicurien, chrétien sincère ou libre-penseur masqué, catholique convaincu ou sympathisant de la Réforme, esprit serein ou mélancolique redoutant la folie ? Les portraits qu’on a donnés de Michel de Montaigne sont aussi divers que les interprétations des Essais. » d’après les Lettres philosophiques de Voltaire, les Considérations inactuelles (III) de Nietzsche, et Michel de Montaigne de Madeleine Lazard.

À Bordeaux : Un lycée et une université portent son nom. Une statue lui rend hommage place des Quinconces.

Montesquieu (1689-1755)

Né Charles de Secondat le 18 janvier 1689 près de Bordeaux, Montesquieu est un des plus célèbres philosophes des Lumières, un penseur politique, précurseur de la sociologie et avocat.
Montesquieu naît dans une famille de magistrats et de noblesse de robe au château de La Brède, dont il porte le nom. Ses parents lui choisissent un mendiant pour parrain, afin que celui-ci “lui rappelle toute sa vie que les pauvres sont nos frères”*.
Après des études de droit, il devient conseiller au Parlement de Bordeaux en 1714.

En 1716, à la mort de son oncle le baron de Montesquieu, il hérite son importante fortune, sa baronnie, et sa charge de président à mortier (le mortier est une toque de velours noir brodée d’or qui distingue les présidents de la Grand’Chambre parlementaire, plus haut stade de magistrature au Parlement).

Il délaissera cependant cette charge dès qu’il le pourra, préférant s’intéresser de près au Monde, à ses plaisirs et ses richesses immatérielles. Il se passionne pour les sciences (anatomie, botanique, physique…), les recherches historiques et la géopolitique (la France à ce moment-là vient de voir la mort de Louis XIV, et l’Angleterre s’est unifiée dix ans plus tôt à l’Écosse pour former la Grande-Bretagne).

Féru de recherches et d’expériences scientifiques, il fréquente assidûment l’Académie Royale des Sciences, Belles-Lettres et Arts de Bordeaux, fondée en 1712. Il publie des communications scientifiques sur ses travaux, et il est reçu dans tous les salons littéraires de la région.

Puis il se consacre davantage à la politique, par le biais de la philosophie et de la littérature, qui lui permettent de mener des analyses inédites et engagées de la société, qu’il publie pour la première fois anonymement depuis Amsterdam, en 1721. Il s’agit des Lettres persanes, ce roman épistolaire bien connu qui a su amener jusqu’à nous une peinture satirique des mœurs et des travers de la société française perçue au filtre du regard extérieur, parfois teinté de naïveté, de visiteurs orientaux.

L’œuvre remporte un grand succès : c’est une critique au ton plaisant, aux procédés originaux, aux couleurs exotiques, parfois érotiques, et au caractère toujours spirituel et amusé. Avant de la vendre en 1726 pour essuyer ses dettes, Montesquieu profite de sa charge pour signer en 1724 un arrêté parlementaire exigeant la cessation des discriminations et de la ségrégations dont sont victimes les charpentiers à ce moment-là.
Après son élection à l’Académie française en 1728, il voyage plusieurs années durant à travers l’Europe, en s’intéressant à la géographie, à l’économie, à la politique et aux mœurs des contrées qu’il traverse et où il séjourne. À Londres il fréquente la loge de franc-maçonnerie, et son appartenance à cette confrérie lui vaudra d’être inquiété par l’intendant Claude Boucher et le Cardinal de Fleury en 1737, ce qui ne l’empêchera pas de continuer à fréquenter les loges bordelaises et parisiennes.

À son retour au château de La Brède, il se consacre à l’écriture et à la publication d’une exploration des causes qui permettent le changement d’un régime pour un autre : la matière historique est ici pour lui l’aliment d’une réflexion politique.
Le texte, publié en 1734 et intitulé Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence, influencera notamment le célèbre Decline and fall of the Roman Empire d'Edward Gibbon. Montesquieu travaille ensuite à partir de 1739 à son grand livre De l’esprit des lois, qu’il publie à nouveau anonymement en 1748. L’ouvrage remporte un rapide succès, et il acquiert bientôt une influence majeure sur les sphères intellectuelles.

Les jansénistes émettent de vives critiques, l’Église catholique romaine interdit le livre et l’inscrit à l’Index en 1751, arguant que l’expression “l’esprit des lois” implique l’existence d’une rationalité immanente aux institutions humaines, ce qui fait justement l’intérêt de l’œuvre.
À travers toute l’Europe, le livre est couvert d’éloges et vaut à son auteur d’être entouré d’un véritable culte, qui se prolongera bien après sa mort en 1755 pour parvenir jusqu’à nos cabinets de lectures et jusqu’aux bureaux de nos parlementaires et juristes d’aujourd’hui.

*Extrait de l’acte paroissial.

À Bordeaux :
Un collège, un lycée, et une université portent son nom. Une statue lui rend hommage place des Quinconces

Anecdote : Il a vécu dans l’actuelle Librairie Mollat !

Goya y Lucientes, Francisco de (1746 – 1828)

Francisco de Goya y Lucientes naît en 1746 à Fuendetodos, près de Saragosse, et mène une longue carrière de peintre de cour, de portraitiste et de témoin des violences de son temps, de la guerre d’Indépendance espagnole aux désillusions politiques du règne de Ferdinand VII. Après la restauration de l’absolutisme en Espagne et la répression des libéraux en 1823, il demande l’autorisation de quitter le pays pour des raisons de santé.

Il séjourne d’abord aux thermes de Plombières, puis choisit Bordeaux en 1824, ville qu’il connaît par la présence d’une colonie d’exilés espagnols et par ses liaisons maritimes vers l’Atlantique. Goya s’y installe durablement à partir de septembre 1824, rue Notre-Dame puis cours de l’Intendance, tout en effectuant un bref retour à Madrid en 1826 pour régler sa retraite. Les historiens de l’art décrivent ces années bordelaises comme une période d’expérimentation technique et de liberté relative, malgré son grand âge et une santé fragile. Il se tourne vers la lithographie, médium nouveau, pour une série de planches tauromachiques réalisées à Bordeaux, dont Le Combat des taureaux, aujourd’hui conservé au musée des Beaux-Arts de Bordeaux. Il peint aussi La Laitière de Bordeaux, petit tableau souvent interprété comme un hommage discret à la vie quotidienne de sa ville d’exil, loin des grands portraits aristocratiques de la cour madrilène.

Les spécialistes soulignent que cette phase tardive prolonge l’esprit des Caprices et des Peintures noires, avec un intérêt constant pour les marges sociales, les scènes populaires, l’ombre des guerres passées et la critique implicite du pouvoir.

Goya meurt à Bordeaux le 16 avril 1828. Sa dépouille est d’abord inhumée au cimetière de la Chartreuse avant un transfert à Madrid au début du XXᵉ siècle, épisode qui contribue à la légende du peintre entre deux pays. Les expositions récentes du musée des Beaux-Arts de Bordeaux insistent sur cette histoire partagée entre Espagne et Aquitaine autour de l’œuvre graphique du peintre.

Bonheur, Rosa (1822 – 1899)

Rosa Bonheur naît à Bordeaux le 16 mars 1822 dans une famille d’artistes, son père Raymond Bonheur exerçant comme peintre et professeur de dessin. L’enfance se poursuit à Paris après le départ de la famille au début des années 1830. Elle se forme dans l’atelier paternel et copie des œuvres au Louvre, dans un système d’apprentissage encore largement fermé aux femmes. Très tôt, elle se spécialise dans la représentation des animaux et accumule des études réalisées dans les fermes, les abattoirs, les marchés aux bestiaux, ce qui suppose une présence sur des lieux fréquentés surtout par des hommes.

Les archives rappellent l’autorisation préfectorale qui l’autorise à porter un vêtement masculin pour ces visites, mesure nécessaire à l’époque pour éviter les incidents de police. Sa carrière s’affirme au Salon avec Labourage nivernais, commande d’État présentée en 1849, et surtout Le Marché aux chevaux, exposé en 1853, tableau monumental acheté par un marchand et désormais conservé au Metropolitan Museum of Art à New York. La reconnaissance passe aussi par l’international : ses œuvres se vendent au Royaume-Uni et aux États-Unis, et une clientèle de collectionneurs soutient son atelier. En 1860, Rosa Bonheur s’installe au château de By, à Thomery, en lisière de la forêt de Fontainebleau, avec Nathalie Micas et une importante ménagerie qui lui sert de modèle. En 1865, l’impératrice Eugénie se rend à By pour lui remettre les insignes de chevalier de la Légion d’honneur, distinction qui fait d’elle la première artiste et l’une des très rares femmes décorées à ce grade sous le Second Empire.

Elle poursuit son travail jusqu’à sa mort en 1899, laissant une œuvre abondante, présente dans les collections du musée d’Orsay, du musée des Beaux-Arts de Bordeaux ou du château de Fontainebleau, tandis que son nom reste associé à la défense des animaux et à l’indépendance des femmes artistes au XIXᵉ siècle.

Anouilh, Jean (1910 – 1987)

Jean Anouilh naît à Bordeaux le 23 juin 1910 dans un foyer modeste, son père travaillant comme tailleur et sa mère comme pianiste d’orchestre puis professeure de piano. L’enfance se déroule en partie dans les coulisses des casinos de province, notamment à Arcachon, où l’adolescent découvre Molière, Marivaux, Musset et les ressorts de la scène. Vers 1921, la famille s’installe à Paris ; Anouilh entre au lycée Chaptal, lit beaucoup et se passionne pour le théâtre, marqué par la découverte de Cocteau puis de Jean Giraudoux à la Comédie des Champs-Élysées. Après un passage dans la publicité, il devient secrétaire général de la Comédie des Champs-Élysées vers 1929–1930, au contact de Louis Jouvet et des milieux théâtraux parisiens. Sa première pièce, Humulus le muet (1932), écrite avec Jean Aurenche, connaît un échec, mais Le Voyageur sans bagage, créé le 16 février 1937, impose Anouilh sur la scène parisienne avec 190 représentations.

Pendant l’Occupation, il poursuit sa carrière et livre Antigone, créée en 1944 au théâtre de l’Atelier. Cette réécriture de Sophocle, qui transpose la question de la résistance et de l’obéissance dans un cadre atemporel, provoque de vifs débats sur une éventuelle dimension politique implicite. Après-guerre, Anouilh enchaîne les pièces, de Roméo et Jeannette à Pauvre Bitos, et se voit classé, par la critique, en « pièces roses », « noires » ou « grinçantes » selon le mélange de comique, de violence ou de désenchantement. Il devient aussi adaptateur et metteur en scène, notamment pour Tartuffe de Molière ou Victor ou les enfants au pouvoir de Vitrac. Installé en Suisse à partir de la fin des années 1940, il continue d’écrire jusqu’aux années 1980.

Il meurt à Lausanne le 3 octobre 1987. Né à Bordeaux mais formé à Paris, Anouilh occupe une place singulière dans la dramaturgie française du XXᵉ siècle, entre théâtre de boulevard et interrogation morale sur la responsabilité individuelle.

Danielle Darrieux (1917-2017)

En huit décennies de carrière, Danielle Darrieux a traversé l’Histoire du cinéma avec une carrière extraordinaire. Elle est aujourd’hui une actrice mythique du cinéma mondial. Elle a joué dans 103 films et tourné avec les plus grands acteurs de l’époque comme Jean Gabin, Jeanne Moreau, Bourvil, Fernandel, Louis de Funès et Alain Delon.
Danielle Darrieux naît le 1er mai 1917 à Bordeaux au sein d’une famille de mélomanes. En 1922, son père meurt prématurément, obligeant sa mère à donner des cours de chant, ce qui alimentera finalement sa passion pour la musique.
Également pianiste et chanteuse, elle entre au Conservatoire de Paris en classe de violoncelle à l’âge de quatorze ans. C’est au même âge qu’elle fait ses débuts au cinéma, suite à une rencontre avec des producteurs organisée par une élève de sa mère.
Elle ne prendra jamais de cours d’art dramatique, mais fréquentera les ateliers de dessin et les classes de l’École commerciale. À l’écran, elle tient des rôles de jeune ingénue et de gamine fantasque.
Dès son premier film, elle chante et interprète des chansons populaires qui deviendront des succès notoires. Lassée des rôles de jeune fille écervelée de ses débuts, elle se consacre à des œuvres qui lui permettent un jeu plus adulte : elle tient alors des rôles plus noirs, explorant les possibilités du drame et de la tragédie.
Elle s’essaie aussi aux comédies musicales : Jacques Demy lui offre un rôle dans Les Demoiselles de Rochefort en 1967 (ce sera la seule actrice à ne pas avoir de doublure chant pour ce film !). En parallèle, elle retourne au théâtre et au chant, et elle fréquente également la télévision.
Sa fierté théâtrale : avoir joué et chanté en anglais à Broadway en 1970 dans la comédie musicale Coco, tenant le rôle de Coco Chanel qu’avait campé son idole Katharine Hepburn avant elle.
Danielle Darrieux poursuit, de pièce en film, sa carrière exceptionnelle, jusqu’à entrer dans le cercle des actrices centenaires le 1er mai 2017. Elle a tenu pour la troisième fois le rôle de la mère de Catherine Deneuve, au début des années 2000, dans le film Huit femmes de François Ozon, et donné sa voix à la grand-mère de Marjane dans le film d’animation Persepolis en 2007.
Elle s’éteint à l’automne 2017, laissant une empreinte indélébile sur le monde du théâtre et du cinéma français.

À Demy, en 1982, elle a précisé : « Je suis un instrument, il faut savoir jouer de moi, alors on sait en jouer ou on ne sait pas. »« Un instrument, oui, rétorquera Demy, mais un Stradivarius. » Article « Le mystère d'une femme champagne », Philippe Lançon, Libération.

Distinctions : Danielle Darrieux est faite commandeur de la Légion d’honneur en 2004, et officier de l’ordre des Arts et des Lettres. Elle a reçu à trois reprises au cours des années 50 la Victoire de la meilleure comédienne du cinéma français. Elle est également lauréate d'un César d'honneur en 1985, d'un Molière d'honneur en 1997, en 2003 d'un Molière de la meilleure comédienne pour son rôle dans Oscar et la Dame rose, et en 2010 elle se voit remettre un Globe de Cristal d’honneur.

Millepied, Benjamin (1977 – )

Né à Bordeaux le 10 juin 1977, Benjamin Millepied grandit en partie au Sénégal, où son père travaille comme entraîneur sportif, tandis que sa mère dirige une école de danse. De retour en France, il entre à 13 ans au Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Lyon, avant une bourse pour la School of American Ballet à New York en 1993. Il remporte le prix de Lausanne en 1994, repère essentiel pour les jeunes danseurs classiques, puis intègre le New York City Ballet en 1995.

Il y devient soliste en 1998, puis « principal dancer » en 2002, ce qui l’installe au premier plan de la scène américaine. Parallèlement, il développe dès le début des années 2000 une activité de chorégraphe, avec des pièces pour le New York City Ballet, l’American Ballet Theatre, le Ballet de l’Opéra de Paris ou encore le Mariinsky.

En 2010, il signe la chorégraphie du film Black Swan de Darren Aronofsky, qui rencontre un large public et expose son travail au-delà des salles de spectacle. En 2012, Stéphane Lissner, futur directeur de l’Opéra de Paris, le sollicite pour diriger le Ballet de l’Opéra. Sa nomination intervient le 24 janvier 2013, pour une prise de fonction au 1ᵉʳ novembre 2014. La première saison qu’il conçoit pour l’institution parisienne, en 2015-2016, associe pièces du répertoire et créations contemporaines.
Il démissionne cependant en 2016, invoquant des difficultés de fonctionnement interne et un désir de se consacrer à son projet indépendant, LA Dance Project, compagnie basée à Los Angeles qu’il a fondée en 2012. Ses créations circulent aujourd’hui entre États-Unis, Europe et Asie, avec des collaborations régulières avec des musiciens, cinéastes ou plasticiens.

Histoire de Bordeaux : De Burdigala à la LGV