Bataille de l'écologie urbaine à Bordeaux, les élus se déchirent

Temps de lecture estimé à environ 11 minutes.
Contrôles :
Avatar Gilles VIDOTTO Gilles Vidotto

le 22 novembre 2018

[ mis à jour le 03 juin 2021 ]

SOMMAIRE

©Maria Uspenskaya - Shutterstock

Les initiatives en matière de développement durable ne sont pas rares à Bordeaux, même si ce n’est pas ce qui fait la spécificité de la ville. La ville de Bordeaux vient tout juste de publier un rapport sur ses efforts en matière de développement durable pour la période 2017-2018. Présenté en conseil municipal lundi 19 novembre, ce rapport fait état d’un problème sur la Métropole : « Il y a des milliers de mesures, des centaines de chiffres, mais on n’a pas de vision politique globale », regrette Daniel Delestre, président de la Sepanso Gironde (la Fédération régionale des associations de protection de la nature). Une politique d'immobilier plus écologique qui pourrait être accentuée par la RE2020, plus exigeante et qui va remplacer la RT2012.

Ce qui est mis en exergue, c’est surtout la rupture des continuités écologiques à laquelle peuvent donner lieu les plans d’aménagement urbains à Bordeaux. Si l’étude pointe du doigt le projet d’aéroparc autour de l’aéroport de Mérignac qui menace 2.500 hectares de zones humides ou encore le projet de golf immobilier validé à Villenave d'Ornon, elle salue la fermeture du pont de pierre aux voitures et les efforts pour encourager la pratique du vélo et des modes de déplacement doux ou collectifs.

Mais la conclusion du président de la Sepanso semble faire un état d’un problème bien plus large que celui qui occuperait la stricte conjoncture bordelaise. Il note une contradiction dans la définition même des objectifs fixés aujourd’hui par les Métropoles : « La formule même de développement durable est antinomique. Sur une planète finie, avec des ressources finies et une population qui augmente, on ne peut pas faire une croissance durable, on part sur de mauvaises bases ».

Ainsi, Bordeaux ne serait finalement pas pire qu’une autre, mais elle mériterait que ses élus prennent toute la mesure de l’urgence climatique, et s’emploient à définir un axe écologique commun, solide et durable pour la préservation de l’écosystème urbain et de la qualité de la vie dans la Métropole.

© BalticServers.com

Des datas centers pour radiateurs, un exemple d’immobilier circulaire surprenant

Présenté il y a trois ans de cela, le projet présenté par le département de la Gironde est en train d’aboutir à Bordeaux. L’expérience inédite prend place dans un immeuble neuf, une résidence de 49 logements sociaux, qui est en cours de finitions avec une livraison prévue début 2019.

Récemment visité par la presse, le bâtiment sera équipé de 346 radiateurs d’un genre tout à fait nouveau : les QH-1, mis gratuitement à la disposition de la Gironde par Qarnot Computing, une start-up française de 30 salariés qui se consacre au « cloud computing » (elle loue du temps d’ordinateur et de la puissance de processeur à des clients très gourmands en capacités de calcul informatique – grandes banques, laboratoires de recherches, studios d’animation).

Pour répondre à ces besoins en puissance de calcul, la start-up a développé le Q.rad, un serveur équipé de trois micro-processeurs et connecté à internet, qui génère un rejet calorifique important. Grâce au système du QH-1, ce rejet est transmis à un dissipateur qui se charge de restituer la chaleur dans le logement (chaque « radiateur » peut chauffer une surface d’environ 30m²). En l’occurrence, les Q.rads de la résidence Florestine traiteront les données de marché boursier pour la BNP Paribas.

Une opération économique pour tous ses acteurs

La société, si elle est loin de faire le poids face à ses concurrents, peut se vanter de proposer des coûts « deux à trois fois moins importants » que les autres fermes de données, grâce à son astucieux système de recyclage et d’optimisation de la chaleur. Car plutôt que d’opter pour la double dépense énergétique, en stockant ses serveurs dans des hangars climatisés, elle les délocalise dans des logements, et boucle ainsi le circuit.

Les QH-1 sont, en cela, de véritables prototypes d’immobilier circulaire : « Chacun est un bout de notre data center, et contient l’équivalent de trois ordinateurs », résume Miroslav Sviezeny, le Directeur Général de Qarnot Computing.

« C’est de l’économie circulaire doublement utile. On peut récupérer cette « chaleur fatale » d’ordinaire perdue pour chauffer un bâtiment, et éviter de consommer de l’énergie pour refroidir les processeurs. Dans la lutte contre la précarité énergétique, cela permettra d’aider des familles qui ont souvent du mal à payer leurs factures à la fin du mois. »
Jean-Luc Gleyze, Président du Conseil Départemental

Le président se réjouit également de l’économie substantielle représentée : « C’est un partenariat public-privé qui coûte moins cher que le grand stade de Bordeaux », car c’est « BNP Paribas qui chauffera les locataires » de Gironde Habitat.

Côté locataires, l’économie de chauffage s’élèvera à quelques dizaines d’euros par mois, sans oublier le Wifi gratuit directement embarqué dans les radiateurs.

Quarnot Computing estime l’économie globale pour le bâtiment à 30.000 euros par an, pour un investissement initial entièrement à ses frais.

Une initiative inspirante

Les data centers-radiateurs bordelais viennent ainsi étoffer le parc de Quarnot, désormais équipé de 1.000 machines. En 2013, la société avait installé 290 radiateurs dans 101 logements sociaux réhabilités par la Régie immobilière de la Ville de Paris, et si un autre bailleur social parisien devrait profiter de ses QH-1, cela ne suffira toujours pas à répondre pleinement aux besoins de ses clients.

Insuffisance du parc donc, à laquelle s’ajoute un problème de saisonnalité : quand les radiateurs sont éteints, la société doit recourir aux services d’un autre data center. Pour solutionner cette problématique, Qarnot travaille à se diversifier, notamment en imaginant ses datas centers convertis en chauffe-eaux pour les piscines, qui ont elles besoin d’être chauffées toute l’année.

A l’heure où le volume de données stockées sur Internet croit de façon exponentielle, le concept mérite largement d’être creusé. La taille moyenne d’un data center a décuplé en dix ans, passant à 10.000 m² pour les plus récents, selon une étude de l’institut d’urbanisme de Paris sur les fermes de données franciliennes. Des chiffres qui n’ont d’alarmant que leurs conséquences écologiques déplorables : d’après le Think tank Shift Project, l’empreinte énergétique directe du numérique augmenterait de 9% tous les ans, et les émissions de gaz à effet de serre du secteur auraient bondi de 50% depuis 2013.

Première société mondiale à proposer ce genre de services, Qarnot a donc de belles perspectives de développement dans l’économie circulaire, et l’on ne peut que saluer sa performance de recyclage énergétique pour le moins pertinente.

Quel aménagement pour la Jallère ?

Lundi 17 septembre, le Conseil municipal de Bordeaux a voté le lancement d’une concertation autour de l’aménagement des plaines de la Jallère.

Située entre le lac de Bordeaux et la Garonne, à côté du nouveau stade Matmut Atlantique et du parc des Expositions, cette zone de Bordeaux Nord accueille aujourd’hui de grandes entreprises comme la Carsat Aquitaine, Gan ou la Caisse des Dépôts des Territoires.

Certains terrains vont se libérer, la Caisse des Dépôts rejoignant ainsi le nouveau quartier Euratlantique en 2021. Bordeaux Métropole possèdant moins de la moitié des terrains (40 hectares), elle a dû racheter le reste aux entreprises propriétaires.

« La dépollution du site, les risques de vacance et de friches causés par le départ de ces entreprises, le projet d’extension de Gan et la proposition de relocalisation des Compagnons du devoir rendaient nécessaires l’accompagnement public. Mais à ce stade le projet n’est ni abouti techniquement, ni validé. »
Elizabeth Touton, adjointe en charge de l’urbanisme pour la ville de Bordeaux

La nécessité d’une préservation des zones humides

La zone totalise 95 hectares, actuellement plutôt à l’abandon, beaucoup d’espaces étant en friche, d’autres pas loin de servir de décharges sauvages. Mais le lieu recèle une ressource naturelle précieuse : il est peuplé de zones humides, lesquelles jouent un rôle primordial dans la lutte contre les inondations.

Depuis les prémices de la réflexion engagée dès 2014 par la mairie autour de ce site, les projets se sont multipliés, sans encore parvenir au consensus.

Alors que le premier projet prévoyait une destruction totale de ses zones humides, celui présenté il y a trois ans par l'agence Anma de Nicolas Michelin, architecte-urbaniste déjà en charge du projet des Bassins à Flot et qui a aussi travaillé sur Euratlantique, prévoyait de construire des logements sur pilotis tout en détruisant partiellement les zones humides.

Depuis, le plan guide a été retouché deux fois. Le projet d’aménagement présenté mi-septembre au conseil municipal propose la construction d’un quartier mixte, qui comprendrait à la fois des logements (environ 2 000 annoncés) et des locaux d’activité. Le tout en préservant les zones humides.

La municipalité acte en effet la nécessité de « la remise en état des zones humides, de les reconnecter entre elles et aux grands espaces naturels, de créer des trames vertes avec boisements sur l’ensemble du site » , comme a pu l’énumérer Magali Fronzes, adjointe au maire chargée de la nature en ville.

Une promesse que les élus écologistes dénoncent comme « impossible à tenir » .

Un « urbanisme de clairière » ?

Ce dernier plan en date prévoit que « 42% de la surface du secteur soit en pleine terre », 30 hectares devant rester des espaces verts non constructibles, et les espaces constructibles devant comprendre 20% à 50% d’emprises non bâties. Magali Fronzes, adjointe au maire chargée de la nature en ville, s’est positionnée en faveur de cette « trame verte » à préserver sur le quartier, qui permettrait de l’inscrire « à la frontière de l’urbain et de la nature ».

« Le projet a plutôt bien évolué car le plan guide de 2015 détruisait totalement les zones humides. C’était inacceptable et on a bien fait de se mobiliser. En 2017 nouveau plan guide prévoyait une destruction partielle avec compensation. Enfin, ce 3e projet évite totalement de toucher aux zones humides. »
Pierre Hurmic, conseiller municipal écologiste

Mais ces ambitions, certes plus vertes que les précédentes, ne donnent qu’une satisfaction toute relative aux élus écologistes. Le projet « a évolué dans le bon sens », comme le souligne Pierre Hurmic, mais il s’agit pour lui d’aller plus loin encore dans ce sens.

« On a la chance d’avoir ces 95 ha, ne touchez pas à ce capital exceptionnel », a exhorté l’élu. D’autant plus que le projet ne se montre pas en mesure de répondre enjeux de densification de la ville : « nous sommes franchement hostiles à cet urbanisme de clairière, vous gaspillez de l’espace en faisant du Saint-Médard-en-Jalles à Bordeaux Nord » a lancé l’élu à la majorité.

Il y aurait en effet dans le projet 20 logements à l’hectare, soit environ 2.000 sur l’ensemble du quartier (contre 95 à l’hectare un peu plus loin, à Ginko), dont un certain nombre de maisons individuelles. L’objectif : « s’adapter aux modes d’habiter périurbains », tout en répondant au « manque d’offres de logements sur la métropole, qui contribue à l’étalement urbain » , a expliqué Elizabeth Touton, l’adjointe en charge de l’urbanisme.

Elle a également insisté sur la « dimension économique » du projet, qui pourrait créer 2.500 emplois, et proposer 3 hectares d’activité agricole. En tout, l’opération représente 300.000 m2 de plancher, ce qui est loin d’être négligeable : cela représente un peu moins que la ZAC Bastide Niel sur une surface trois fois plus importante.

Tension toujours donc, entre la satisfaction des objectifs du programme « 50 000 logements », prévoyant une importante construction de logements sur la Métropole en réponse à la forte demande, et les impératifs écologiques de la ville du XXIe siècle.

Domaine public

Ou une forêt urbaine ?

Pour le socialiste Nicolas Guenro, ce projet urbanistique « s’inscrit dans une longue tradition de faire reculer la nature en ville » alors que les enjeux « de lutte contre les îlots de chaleur et les risques de submersion, sont devenus deux défis majeurs ». Pour le conseiller municipal, si la mairie veut vraiment « changer de paradigme », elle doit « renoncer à ce projet et laisser la Jallère dans son jus » .

« Faire reculer la nature en ville ne répond pas au défi climatique. Le rapport Le Treut sur le changement climatique en Nouvelle-Aquitaine cible deux défis principaux, la lutte contre les îlots de chaleur urbains et le risque de submersion alors que 85.000 à 115.000 personnes vivent en zone potentiellement inondable. Or ce projet aura un impact sur la perméabilité des sols. Il n’est pas exact de parler de clairières car celles-ci ne seront pas peuplées de coquelicots mais de constructions et d’espaces publics. »
Nicolas Guenro, conseiller municipal apparenté PS

Plus pragmatique et conciliateur, l’écologiste Pierre Hurmic propose d’y créer une « forêt urbaine » : « On pourrait planter 48.000 arbres sur ce territoire, ce qui représenterait un immense capteur de C02 ».

Les élus écologistes ont demandé que cette proposition alternative de forêt urbaine de 40 ha soit soumise à la concertation. La demande a été acceptée par Alain Juppé, et le dossier reste en charge de l’agence Michelin. En attendant sa prochaine mouture.

Sources :

[ En Résumé ]

A Bordeaux « Il y a des milliers de mesures, des centaines de chiffres, mais on n’a pas de vision politique globale » en matière d'urbanisme écologique. C'est ce dont vient de faire état le rapport commandé par la ville, visant à évaluer ses efforts en matière de développement durable pour la période 2017-2018. Si Bordeaux ne manque pas d'initiatives en la matière (témoin ces audacieux data centers pour radiateurs), mais elle se retrouve bien souvent prise entre enjeux économiques et impératifs écologiques, arrivant pour le moment difficilement à concilier les deux. Alors que les tensions sont toujours vives autour de l'aménagement du site de la Jallère, il est sans doute temps que la ville parvienne à définir un axe d'urbanisme écologique en mesure d'apaiser sur ces problématiques récurrentes.

Avec IMMO9, faites le choix de la confiance en réalisant votre projet immobilier et bénéficiez des conseils d’une équipe entièrement mobilisée pour votre satisfaction.
Contactez-nous
Partager sur